Le poids de l’ITT dans le procès pénal

14 octobre 2020

L’ ITT ou incapacité totale de travail est l’unité de mesure utilisée pour quantifier les blessures subies par une victime. A ce titre, elle constitue la reine des preuves en matière de violences volontaires. Au point que son pouvoir d’influence dépasse largement la simple évaluation des dommages-intérêts alloués aux victimes.

En matière pénale, et en particulier correctionnelle, où les versions des faits les plus fantaisistes s’affrontent quotidiennement dans les salles d’audience, il en est de quelques éléments matériels qui mettent tout le monde d’accord, ou presque.

L’autorité dégagée par l’incapacité totale de travail s’impose généralement à tous, d’une part parce qu’elle est issue d’une autorité médicale difficilement attaquable, ensuite parce que la loi elle-même s’appuie dessus notamment pour fixer un seuil de 8 jours d’ITT à partir duquel l’infraction de violences volontaires est considérée comme plus grave qu’au dessous des 8 jours, et enfin parce que l’existence et l’ampleur de l’ITT constitue un élément de preuve chiffré donc prétendument objectif.

Ainsi, en cas de violences volontaires non reconnues par le prévenu, telles que des violences conjugales, la réalité de l’infraction sera bien difficile à nier en présence d’une ITT attribuée à la victime.

D’autre part, l’ITT « profite » comparativement de la relative faiblesse des éléments de preuve habituellement présentés devant les juridictions répressives pour asseoir un statut à part.

Ainsi, une vidéo surveillance chanceuse, une perquisition donnant lieu à la découverte de matériel de conditionnement de stupéfiants, ou encore une interception téléphonique productive, constituent quelques uns des rares éléments de preuve impactants à eux seuls.

En l’absence de preuves irréfutables, les juges s’appuient généralement sur le fameux « faisceau d’indices » pour déterminer la culpabilité du prévenu.

Mais surtout, l’objet de l’ITT est, nous l’avons dit, de quantifier le niveau ou degré des blessures subies par la victime d’une infraction pénale. En cela, elle permet non seulement d’évaluer la gravité de l’infraction, mais aussi de réparer le dommage causé à la victime sous la forme de dommages-intérêts dont le montant sera, sinon proportionnel à l’ITT, du moins fortement lié.

Si l’on devait résumer le double pouvoir de l’ITT, nous dirions donc qu’elle permet à la fois de confirmer la réalité d’une infraction et d’indiquer l’ampleur du dommage subi.

Cependant, il est un troisième pouvoir que les juges ont tendance à exploiter par une forme de facilité qui doit être combattue sous peine de voir se multiplier les erreurs judiciaires.

Ainsi, lors d’une altercation entre deux individus, et en l’absence d’autres éléments de preuve, les juges auront tendance à considérer que l’individu ayant initié l’agression est celui affichant l’ITT la plus réduite, tandis que celui affichant l’ITT la plus élevée sera considéré comme la victime de l’agression s’étant défendu.

Or, il arrive assez fréquemment qu’un auteur d’agression « tombe sur un os », autrement dit sur une victime qui, non contente de ne pas se laisser faire, répond par des coups qui peuvent occasionnellement provoquer une ITT supérieure à l’ITT subie.

L’idée n’est pas ici d’évoquer la proportionnalité de la riposte, qui est un autre sujet largement débattu dans les prétoires, mais de restituer à chacun leur rôle exact dans le contexte de commission des faits.

Or, lorsque chacun prétend être la victime d’une agression physique, l’ITT a tendance à jouer ce rôle d’arbitre partial qui ébranle et dénature le processus de décision du juge.

Nous avons connu dernièrement le cas d’un conjoint qui, en réponse aux multiples coups que lui portait son épouse presque quotidiennement, lui a un jour asséné un unique mais violent coup de poing à l’œil alors qu’il se trouvait une nouvelle fois accablé de coups dans leur cuisine.

Malheureusement, ce coup a eu de lourdes conséquences puisqu’il a entraîné pour elle plusieurs opérations de la cornée, sans toutefois provoquer d’invalidité, mais cependant une ITT très importante, et incomparable à celle obtenue par le mari.

Le procès correctionnel fut expéditif et entraîna une condamnation sévère à l’encontre du mari, et aucune pour son épouse, qui n’a même pas été reconnue auteur d’une faute civile ayant partiellement entraîné la faute pénale de son époux.

Ici encore, l’écart entre les ITT respectives a semble t’il justifié la culpabilité exclusive de l’auteur de la plus forte ITT, sans même que le juge se donne la peine de déterminer les responsabilités respectives en s’aidant des autres éléments entourant le contexte de commission des faits.

L’élément indicatif que constitue l’ITT tend ainsi à prendre une place infondée au sein de la culture judiciaire française, en ajoutant à l’évaluation et à la réparation du dommage, la désignation du coupable et de la victime.

Si les juridictions pénales n’y prennent pas garde, cela pourrait entraîner un glissement malheureux vers une justice pénale jugeant des faits sous le prisme de leurs conséquences dommageables.